Migrants

« Nous sommes donc tous des poussières d’étoiles. Nous partageons tous la même généalogie cosmique.
Nous sommes les frères des bêtes sauvages et les cousins des coquelicots des champs. »
Trinh Xuan Thuan, astrophysicien

Réfugiés

par Thomas Luntz

Que pousse un être humain à quitter la terre qui l’a vu naître et à tout abandonner derrière lui ? Que pousse un homme à prendre femme et enfants pour, au risque de leur disparition, traverser, désert et forêts à pieds, ou l’océan dans une misérable embarcation ?

Quoi, sinon l’invraisemblable espoir d’un havre, d’un lieu où chaque jour ne sera pas consacré à survivre, mais juste à vivre, un lieu où ne pas mourir… un refuge.

Les migrants d’Anne de Chabaneix sont des réfugiés sans refuges. Ils errent, courent, se tapissent dans l’obscurité, fuient les ombres, réelles ou rêvées qui les pourchassent, avec lesquelles ils finissent par se confondre. Le refuge est un idéal, il n’est pas encore atteint.

C’est dans cet entre lieu qu’Anne de Chabaneix peint ces visages épuisés, ces regards hébétés, cet espace entre le pays abandonné et l’autre rêvé, entre le désespoir et l’espoir. Ce n’est plus l’Afrique, ce n’est pas encore l’Europe. C’est n’est pas le lieu d’un voyage, c’est celui d’une fuite et d’une errance.

Pour dire ces êtres prisonniers de l’immensité, ces errants, il fallait que l’espace du tableau fût assez grande. Le choix de toiles monumentales s’imposait, empêchant le regard de tout embrasser d’un coup, obligeant le spectateur à sa propre divagation, sa propre fuite.

Mais c’est par le choix du matériau, le goudron, que la série des migrants prend toute sa dimension, tant tragique dans son propos qu’audacieuse et libre dans son geste. Le goudron évoque le travail de l’Homme, indispensable à sa survie ; il revêt les routes parcourues par les réfugiés ; il tapisse le fond des barques qui manquent à chaque instant de chavirer. Surtout, le goudron n’a pas la noblesse de l’huile, il interdit le pigment, il oblige à travailler la lumière de l’obscur, d’où surgissent les regards de ces hommes, femmes, et enfants.

Car, alors que l’actualité rattrape plus tragiquement que jamais la démarche d’Anne de Chabaneix, loin de tout spectaculaire, c’est à la simple humanité qu’en appelle ces toiles, celle d’un visage, d’une silhouette cachée entre les arbres ou d’un regard.

Artiste peintre